Descriptif détaillé des journées d'études

En 2006, dans un rapport rédigé par la commission du débat national « Université-emploi », les universités sont incitées à « amplifier l’ouverture vers le monde professionnel (...) pour remplir des missions précises liées à̀ la professionnalisation des cursus » (Hetzel, 2006, p.49). Cette recommandation marque la généralisation de la professionnalisation des études et des parcours dans l’ensemble des filières et diplômes universitaires. L’enseignement supérieur se voit encouragé à s’impliquer encore plus dans le devenir professionnel des étudiants*. En 2007, la loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités (loi LRU) et le Plan pluriannuel pour la réussite en licence vont marquer le pas. Ces orientations ont amené de nombreux chercheurs à interroger les rapports entre universités et employeurs ainsi que les articulations entre formation générale et professionnelle, formation et accès à l’emploi et formation et activités de recherche (Bourgeois, 2006 ; Agulhon, 2007 ; Rose, 2008 ; Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 2011, Épiphane et Giret, 2012 ; Zaouani-Denoux et Wittorski, 2022). Si Wittorski (2012) a pu observer que nous assistions à un mouvement de généralisation de la professionnalisation de la formation dans lequel la norme devenait la visée professionnalisante de l’offre de formation (à l’image de la mission confiée par les derniers textes à l’université́ française), ce mouvement n’a fait, depuis, que s’amplifier et s’installer durablement. Il s’appuie sur un ensemble d’acteurs : notamment ceux de l’orientation, de l’enseignement, de l’accompagnement et de la recherche ; et de nouvelles lois telles que celle du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche ou celle du 5 septembre 2018 (choisir son avenir professionnel) qui n’est pas sans conséquence pour l’université.

Si l’un des enjeux politiques est d’améliorer l’accès à l’emploi des diplômés, la professionnalisation relève d’autres enjeux. Parmi ceux-ci, on trouve la mise en acte d’une véritable politique d’établissement en matière de formation (autonomie et responsabilité́ des établissements), la construction d’universités décloisonnées et plus attentives aux sollicitations externes, la participation plus grande des partenaires extérieurs (et plus particulièrement des professionnels) à l’élaboration, la gestion et l’organisation des études, la mise en œuvre de pédagogies tournées vers le travail (l’alternance, la simulation, visites d’organisations, fablab, etc.), l’application de systèmes d’évaluation de la « qualité » des formations (au regard notamment de leur efficience externe, c'est-à̀-dire du point de vue de l’insertion professionnelle des diplômés) ou encore la promotion de dispositifs dédiés à l’éducation en entrepreneuriat. Toutes ces actions concourent au développement de l’employabilité des apprenants. 

A l’occasion des JE AIPU (Journées de l’Association Internationale de Pédagogie Universitaire) organisées par Le Mans Université (LMU), nous proposons d’interroger la « vocation » professionnalisante de l’université et les modalités de sa mise en œuvre, notamment en lien avec les regards que portent les universitaires sur le monde. Nous attendons des propositions s’intéressant à la professionnalisation des études universitaires comme vecteur de transformation sociétale, institutionnelle, et pédagogique, selon une approche multidimensionnelle. Les propositions de communication pourront cibler l’une ou l’autre des dimensions suivantes : macro (à l’échelle de l’institution), méso (à l’échelle des dispositifs) et micro (à l’échelle des acteurs).

 I. Niveau Macro : L’institution  

Depuis une vingtaine d'années, la relation entre le travail, la formation et la professionnalisation fait l’objet d’une attention particulière, tant au niveau du monde professionnel et économique que de celui de l’éducation et de la formation, au niveau national comme international, tout à la fois du point de vue social comme scientifique (Tardif, 2013 ; Crespy et al., 2017 ; Olry, 2022 ; Fernagu, 2018 ; Zaouani-Denoux et Wittorski, 2022). Zaouani-Denoux et Wittorski (2022) expliquent que cet intérêt est la conséquence de plusieurs transformations historiques qui se caractérise par la division du travail de formation, avec le basculement du « tout pratique » vers le « tout théorique » et, après la massification scolaire, par l’introduction des périodes d’apprentissage en milieu professionnel. Les changements de la société, les mutations économiques, l’intellectualisation du travail mettent en débat les liens entre formation, professionnalisation et apprentissage professionnel. En ce sens, Maillard (2012) interroge « la professionnalisation de l’université comme réponse aux besoins des individus et des entreprises ». Cette logique formation-emploi questionnée par les auteurs nous semble intéressante à aborder lors des journées d’études à travers non seulement la vision de l’université en tant qu’entité propre mais aussi celle du monde socio-professionnel à la recherche de savoirs, de savoir-faire et de savoir-agir de plus en plus spécifiques et complexes. Pourront ainsi être abordées les interrogations suivantes :

  • Comment les universités appréhendent-elles leur mission en matière de professionnalisation ? 
  • Quel rôle peut jouer l’université dans le rapport emploi-travail-formation sur un territoire (local, national, international) ?
  • Quelles relations sont possibles entre l’université et le monde socio-professionnel ? Quelle est la nature et la forme des relations qui s’instaurent entre eux ?
  • Quelle adaptabilité aux besoins des mondes socio-économiques offre l’adossement des formations aux laboratoires de recherche ?
  • Quelles sont les dimensions (les filières, les parcours, les individus, l’organisation, …) touchées par la professionnalisation ?
  • Comment l’entrepreneuriat étudiant s'inscrit-il dans la dynamique de la professionnalisation à l'université ? 

II. Niveau Méso : Les dispositifs 

 La professionnalisation des études supérieures se matérialise par la mise en place de dispositifs de formation et d’accompagnement multiples (formations dites professionnalisantes, accompagnement à l’insertion, éducation à l'entrepreneuriat, transposition des attendus disciplinaires en compétences, …) qui se veulent transformateurs et innovants. Leur conception est donc guidée par l’articulation de logiques disciplinaires et professionnelles. Dans l’ensemble, ces liens complexes entre formation et emploi interrogent la construction de parcours préparant à la vie active, à l’insertion professionnelle, voire à l’employabilité. L’approche par compétences, par exemple, promue comme élément-clé de l’employabilité est perçue comme source d’une individualisation des parcours au détriment de la richesse des collectifs dans les formations (Vidal et Labbé, 2019). Au même titre que d’autres dispositifs, cette approche est révélatrice des tensions qui s’y manifestent, entre professionnalisation et « académisation » des formations (Postiaux et Romainville, 2011).

Au niveau méso, les questions suivantes pourront être abordées : 

  • Comment les orientations stratégiques vers une professionnalisation impactent-t-elles la conception de dispositifs de formation ?
  • Comment les enseignants et les accompagnateurs pédagogiques intègrent dans leurs pratiques des approches pédagogiques dites professionnalisantes (par compétences, par programme, par alternance, etc.) dans leurs pratiques ?
  • Comment les partenaires (CFA, monde socio-économique, ...) et les services supports (appui à la pédagogie, formation continue, SUIO-orientation) contribuent à la professionnalisation ?
  • Comment articuler processus d’enseignement/apprentissage et approche par compétences ? 
  • Quelles approches ou modalités pédagogiques participent à la professionnalisation des étudiants ? Quelles places occupent les situations et contextes de travail sur les processus de professionnalisation des acteurs ?
  • Quelles pratiques d’accompagnement des acteurs (enseignants, étudiants) de la professionnalisation d’autrui favorisent leur propre professionnalisation ?

III. Niveau Micro : Les acteurs

Au niveau micro, nous nous concentrons sur les différents acteurs concernés par les questions de professionnalisation que cela soit en tant qu’usager ou contributeur (étudiants, enseignants, accompagnateurs pédagogiques, employeurs…). Il s’agit de s’interroger sur leurs expériences de la professionnalisation, sur leurs perceptions vis-à-vis de ce qu’ils vivent ou entreprennent, sur leur vécu des actions et dispositifs proposés que cela soit en termes de contraintes ou de bénéfices, sur ce qu’ils mettent en place ou vivent, etc. Nous proposons ainsi de porter l’attention sur les enjeux de professionnalisation du point de vue des personnes impliquées, sur les acteurs concernés, en prenant en considération les multiples dimensions, individuelles et collectives, motivationnelles, cognitives et affectives de tout mouvement de professionnalisation.

Les travaux de recherche en enseignement supérieur soulignent le caractère coconstruit des dispositifs de formation en mettant en perspective la dynamique d’interaction entre les caractéristiques des environnements et celles des individus (Clénet, 2013 ; Charlier, Peltier et Ruberto, 2021). Alors que la professionnalisation des formations universitaires tend à renouveler les missions des acteurs ou à façonner les expériences d’enseignement/d’apprentissage, le sens donné par chaque individu le conduit à prendre position, à s’engager, par conséquent, à se professionnaliser de manière singulière (au sens spécifique) dans l’environnement socio-culturel et organisationnel qu’il perçoit. 

Nous aborderons ces questions par le biais de regards croisés en s’interrogeant sur :

  • la manière dont les acteurs perçoivent la mission de l’université en matière de professionnalisation ? 
  • leurs attentes et les formes d’engagement vis-à-vis de celle-ci ? leurs réticences ? la variation de leurs attitudes et de leurs perceptions vis-à-vis de celle-ci et plus spécifiquement selon leur profil d’apprenants (étudiants, stagiaires en formation continue, ou apprentis, etc.) ? 
  • la perception d’un besoin de professionnalisation ? Sur les stratégies qu’ils mettent en place pour y répondre ? 
  • sur la manière dont les conceptions de la professionnalisation influencent la nature et la forme des ressources mobilisées, que l’on soit apprenant, enseignant, personnel support ou prestataire ? 
  • sur la construction et l’évolution du projet professionnel des étudiants au sein des environnements de formation proposés ? 
  • sur la manière dont les enseignants et les accompagnateurs pédagogiques intègrent dans leurs pratiques des approches pédagogiques dites professionnalisantes (par compétences, par programme, par alternance, etc.) ?
  • sur les liens entre des pédagogies professionnalisantes et une recherche de pointe, selon les disciplines ?
  • Quels sont les effets rebond de la professionnalisation des étudiants sur les enseignants (notamment en termes de stimulation des activités de recherche) ?

Bibliographie

Agulhon, C. (2007). La professionnalisation à l’université, une réponse à la demande sociale ? Recherche et formation (54), p. 11-28.

Astier, P. (2008). La professionnalisation comme intention, comme processus et comme légitimation. Savoir, 17,62-69. https://doi.org/10.3917/savo.017.0063

Bourdoncle R. & Lessard C. (2003), « Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? Les caractéristiques spécifiques : programmes, modalités et méthodes de formation ». Revue française de pédagogie, n° 142, p. 131-181.

Bourgeois, E. (2006). Tensions identitaires et engagement en formation. Dans J.-M. Barbier, E. Bourgois, G. de Villers et M.Kaddouri, Constructions identitaires et mobilisation des sujets en formation (p.65-120). L’Harmattan. 

Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs (2011), « La professionnalisation : l’un des vecteurs du processus de Bologne ? », Hors-série n° 3. 

Charlier, B., Peltier, C. et Ruberto, M. (2021). Décrire et comprendre l’apprentissage dans les dispositifs hybrides de formation. Distances et médiations des savoirs, 2021 (35). 

Clénet, C. (2013). L'accompagnement de l'autoformation dans des dispositifs de formation. Pratiques relationnelles et effets formatifs. Les Sciences de l'éducation - Pour l'Ère nouvelle, 46, 61-84. https://doi-org.scd1.univ-fcomte.fr/10.3917/lsdle.462.0061

Crespy C, Lemistre P, Kavka J et al, (coord.) (2017), « La professionnalisation dans l'enseignement supérieur : formes et effets variés », Formation Emploi, n° 138.

Épiphane D. et Giret J.-F. (coord.) (2012), « Enseignement supérieur : les défis de la professionnalisation », Formation Emploi, n° 117.

Fernagu-Oudet, S. (2018), Organisation et apprentissage : des compétences aux capabilités (Doctoral dissertation, Université de Franche-Comté).

Hetzel P. (2006), De l'université à l'emploi, rapport final de la commission du débat national Université-Emploi. Consulté le 25/08/23 sur : https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/064000796.pdf 

Humburg Ma, Velden Rolf van der & Verhagen A. (2013). The employability of higher education graduates: The employers’ perspective. Luxembourg : Publications Office of the European Union

Lemistre P. (2015), « La professionnalisation des formations initiales : une solution aux mutations du marché de l’emploi pour les jeunes ? », Revue française de pédagogie, n° 192, pp. 61-72. 10.4000/rfp.4834

Maillard F. (2012), « Une promesse intenable : la professionnalisation de l’université comme réponse aux besoins des individus et des entreprises ». Dans La professionnalisation de l’enseignement supérieur : De la volonté politique aux formes concrètes. Toulouse : Octarès, p. 47-60.

Messaoui, A., & Pélissier, C. (2024). Vers l’approche par compétences : théories et pratiques pour l’enseignement supérieur.

Olry, P. (2022). Chapitre 9. Analyser le travail pour soutenir les apprentissages professionnels et la conception de formations ajustées. Dans Enquêter dans les métiers de l’humain. Traité de méthodologie de la recherche en Sciences de l’Éducation et de la Formation. Tome 3 (p. 378-396). Éditions Raison et Passions.https://doi.org/10.3917/rp.alber.2022.03.0378

Postiaux N. & Romainville M. (2011). « Compétences et professionnalisation : La compétence asservit-elle l’université au monde professionnel, la faisant ainsi renoncer à son idéal pédagogique ? ». Éducation & formation, n° e-296.

Quenson E. & Coursaget S. (dir.) (2012). La professionnalisation de l’enseignement supérieur : De la volonté politique aux formes concrètes. Toulouse : Octarès.

Rose J. (2008), « La professionnalisation des études supérieures : Tendances, acteurs et formes concrètes ». Dans Les chemins de la formation vers l’emploi. Première biennale formation-emploi-travail. Coll. Relief, n° 25. Marseille : CEREQ, p. 43-58.

Rose, J. (2018). La professionnalisation des formations supérieures : facettes multiples et effets incertains. Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, (Hors-série n° 6), 59-70.

Stavrou S. (2011), « La « professionnalisation » comme catégorie de réforme à l’université en France », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, Hors-série n° 3, pp. 93-109.

Tardif J. (2013), Où s’en va la professionnalisation de l’enseignement ? . Tréma, (40),42-59.

Vidal, É. & Labbé, S. (2019). Quelle université pour l’approche par compétences ? . Éducation Permanente, 218, 73-81. https://doi.org/10.3917/edpe.218.0073

Wittorski R. (2012), “La professionnalisation de l’offre de formation universitaire : quelques spécificités”, Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, 28(1). https://doi.org/10.4000/ripes.580

Zaouani-Denoux, S. & Wittorski, R. (2022). Éditorial. McGill Journal of Education / Revue des sciences de l'éducation de McGill, 57(1), 1–5. https://doi.org/10.7202/1102009ar

 

------------

* Pour ne pas alourdir le texte, nous nous conformons à la règle qui permet d'utiliser le masculin avec la valeur de neutre.

Personnes connectées : 2 Vie privée
Chargement...