À quoi sert l'université ? Quelle est sa vocation ou dit autrement quelles en sont les finalités ? Ces questions ont été au cœur de nombreux débats et controverses depuis longtemps. De façon tranchée par rapport à la tradition, le projet conçu à la fin du XVIIIe siècle pour l'université de Berlin par Wilhem von Humboldt soutenait l'idée d'une indépendance totale de l'université vis-à-vis des attentes des pouvoirs religieux et politique. Son projet était fondé sur un idéal de la formation [Bildung] qui « comporte (entre autres choses) l'absence d'un but préconçu ». (Forster 2022). Plus proche de nous, le linguiste états-unien Noam Chomsky affirmait pour sa part la nécessité pour l'université de résister « à la tentation de se conformer sans réfléchir à l'idéologie du temps et aux modèles de pouvoir et de privilège existants » (Chomsky 2010, 45).
Depuis une quarantaine d'années, on assiste dans le paysage de l'enseignement supérieur de nombreux pays, à un chassé-croisé entre les formations historiquement à visée professionnelle et les formations de type académiques. On parle d'académisation ou d'« universitarisation » (Bourdoncle 2007) quand les premières se rapprochent des secondes et développent la formation par la recherche et par des enseignants-chercheurs. Dans le mouvement inverse, on a vu des formations historiquement de type académique se transformer pour offrir à leurs étudiant·es des parcours plus « professionnalisants », c'est-à-dire davantage tournés vers la préparation à un ou des métiers, proposant plus de stages et autres mises en situation, et de collaborations avec des partenaires extra-académiques (Maillard 2012).
Dans ce contexte toujours actuel de reconfiguration de l'enseignement supérieur et de redéfinition de ses missions, quelles sont les visées des formations en éthique qui y sont proposées ? Comment se situent-elles dans ce mouvement à double sens d'universitarisation / professionnalisation ? La présente communication s'appuie sur une étude comparative entre plusieurs champs de l'enseignement supérieur (l'ingénierie et le travail social) et analyse les objectifs attribués à ce contenu particulier de formation : « supplément d'âme » (Bergson 2013/ 1932) ou « compétence intrinsèque au professionnalisme » (Bégin 2014) ? Pour qui, pour quoi cherche-t-on à former en éthique dans l'enseignement supérieur français ? Dans quelle mesure la formation en éthique contribue-t-elle à la professionnalisation des diplômés ? De quelle conception de la professionnalisation est-il question ?